Dans les coulisses - Métempsychogenèses

Création de la couverture

Pour illustrer la novella de Gauthier Guillemin, et donc le principe de transvasement d'une âme d'un corps à l'autre, nous voulions mêler les notions d'art et d'écoulement, voire de circulation des idées et de passation. C'est pourquoi nous avons rapidement décidé d'opter pour l'image d'un cerveau ruisselant de peinture, façon "paint pouring", cette méthode consistant à mélanger de la peinture acrylique et un médium vinylique afin d'éviter que les couleurs ne fusionnent entre elles lors du déversement, créant ainsi des effets de toute beauté.

Dans un premier temps, il a fallu faire l'acquisition du cerveau humain qui servirait de support à cet écoulement de peinture, symbole de l'esprit des artistes qui sont récupérés dans le flux métensomatique par l'équipe scientifique de Sharp Plateau. Notre solution : l'impression 3D. Simple, rapide et économique. De fait, elle nous permet également de choisir la taille exacte de l'objet, et donc du rendu au moment de faire couler la peinture.

Une fois le cerveau sorti de l'imprimante, nous choisissons de le bomber en blanc pour rappeler l'ambiance polaire du cadre de la novella.

Ensuite, il faut choisir les couleurs et préparer les mélanges de peintures qui serviront à créer l'effet d'écoulement.

La phase d'après consiste à verser, couche après couche, les différentes teintes en prenant garde de ne pas faire bouger le cerveau qui est retenu par des fils transparents, et ce afin d'obtenir un cliché parfaitement net. L'opération est délicate, mais avec de la patience et beaucoup d'application, nous parvenons à obtenir le résultat escompté.

Ne reste plus désormais qu'à choisir la meilleure photo et à la retravailler pour en tirer la couverture de notre future parution.

Entretien avec l'auteur de la novella, Gauthier Guillemin.

L’éditeur : Quelle est la genèse de ce texte ? Quel en a été le point de départ ? Quelle a été la première idée à te venir ?

Gauthier Guillemin : Il y a quelques années, j’ai répondu à un appel à texte pour une nouvelle de SF autour du thème du double. J’ai tenté de tresser ensemble dans un format très court, l’exode de l’humanité, une théorie de l’inspiration et la réincarnation d’artistes défunts. Le rendu était bien trop dense, extrêmement touffu, et difficile à comprendre. Du coup, j’ai laissé cette nouvelle de côté pour achever un autre manuscrit qui entamait sa dernière ligne droite.

L’éditeur : Quelles ont été tes principales sources d’inspiration ? Dans quel état d’esprit as-tu imaginé cette histoire ? Dans quel contexte ?

Gauthier Guillemin : La phrase « je suis l’autre » écrite par Gérard de Nerval, s’est imposée à moi immédiatement et j’ai tout construit autour de cette affirmation. Elle est très puissante et bien plus incarnée que ce que Rimbaud a mis en avant en disant « Je est un autre ». Nerval ne met aucune distance dans cette phrase, tout est immédiat, sans possibilité de douter de cette autre réalité.

Lorsque je suis pris par des mots et par l’état d’esprit qu’ils brassent dans leur sillage, je bâtis un monde et j’en imagine les tenants et les aboutissants. Ici, j’ai créé un univers où les artistes grandissent en échos les uns des autres.

L’éditeur : En quoi a consisté ton travail de recherche ou de documentation ? Sur quel(s) sujet(s) / thème(s) as-tu travaillé en particulier ?

Gauthier Guillemin : J’ai beaucoup approfondi ma connaissance de Nerval, en lisant ses correspondances notamment. J’ai relu un peu d’Hésiode, je me suis replongé dans quelques toiles de Gustave Moreau qui a un univers fascinant.

J’ai aussi travaillé sur des impasses : la topographie de Paris à l’époque et l’histoire de la rue de la Vieille Lanterne, mais cela m’a finalement été inutile. A un moment, je me suis aussi documenté sur l’imprimerie à ses débuts, afin de donner corps à l’extracteur de flux, mais j’ai laissé cette idée de côté car il aurait fallu tout un chapitre pour en rendre le fonctionnement plus plausible.

L’éditeur : Combien de temps t’a-t-il fallu pour écrire ce texte ? As-tu suivi une méthode spécifique ? Avais-tu un plan précis en tête, ou suivais-tu ton imagination à mesure que l’histoire avançait ?

Gauthier Guillemin : A partir de la nouvelle déjà écrite, et qui me fournissait une trame générale, il m’a fallu trois à quatre mois de travail (en plus de l’emploi qui me rémunère). Le plan est établi, au sens où je sais comment tout cela va finir, et quels sont les passages importants. Mais ensuite, je laisse l’imagination peupler le récit. Chez moi, l’acte d’écriture est créateur, il génère des scènes imprévues, des idées aussi. Ainsi, je n’avais pas prévu que mes trois scientifiques iraient courir en montagne, où que Nerval et Nau s’amuseraient avec leurs secrétaires particuliers.

L’éditeur : Parle-nous un peu des héros de cette histoire. Comment sont-ils nés ? Et ton regard sur eux a-t-il changé au fil de l’écriture, au-delà de ce que tu avais prévu ?

Gauthier Guillemin : J’aime particulièrement les histoires avec des groupes d’amis très soudés, ou des fraternités-sororités qui naissent : peut-être une réminiscence ancrée dans la pratique du JDR où le nain, l’elfe, le mage, le guerrier et le voleur sauvaient des cités et des royaumes oubliés…

Le trio de scientifiques a peu changé. Ils sont tels que je les avais imaginés. Une discussion avec Fred (un des boss des éditions 1115) les a rendus plus sérieux dans leur travail, mais rien de déterminant, ils sont un groupe d’amis qui me tient chaud quand je pense à eux.

En revanche, je n’avais pas anticipé le lien qui se tisse entre Soma et Gérard, il s’est créé naturellement, au fil de l’écriture. J’ai même ajouté une scène et profondément modifié une autre pour renforcer ce lien, ce sont les deux passages où Soma sauve Gérard lors d’extractions trop précoces.

L’éditeur : As-tu eu des surprises lors de la rédaction de ce texte ? Des idées qui ont surgi lors de la phase d’exécution, et auxquelles tu ne t’attendais pas du tout lorsque tu en as commencé l’écriture ?

Gauthier Guillemin : Arrivé à un tiers du récit, j’ai achevé ma lecture du prix Goncourt L’Anomalie (décevant et insipide), sans trop savoir pourquoi, je me suis documenté sur l’histoire de cette récompense et j’ai appris que le premier Goncourt était John-Antoine Nau, avec un roman de SF. J’ai fait quelques lectures, et le personnage s’est imposé dans mon récit. Un baroudeur, sympathique comme Nerval, en marge du système littéraire.

En littérature, tout se répond, tout est symbole : Les frères Goncourt se moquent de Nerval (comme de beaucoup d’autres), Gérard de Nerval se pend rue de la Vieille Lanterne, Jules de Goncourt fait un croquis morbide de cette ruelle après ce suicide, John-Antoine Nau, aidé par l’esprit de Nerval, remporte le prix Goncourt.

Une autre surprise : en écrivant ce texte, j’ai eu l’idée d’un long poème versifié qui raconterait l’épopée spatiale de l’humanité. Sur ma lancée, j’ai écrit ce poème : un étrange chant, trente-neuf quatrains en alexandrins !

L’éditeur : Quel message cherchais-tu à faire passer à travers cette histoire ? Quel est le propos sous-jacent de ton œuvre ?

Gauthier Guillemin : En voilà une bonne question ! Je ne produis pas des textes à messages. Ils ont du sens pour moi, ils correspondent sans aucun doute à des préoccupations qui me sont propres : la survie de la planète passe-t-elle par la survie de notre espèce ? Sommes-nous si importants ? Si nous disparaissons, l’Histoire va-t-elle disparaître et tout cela aura-t-il encore un intérêt ?

Il y a aussi toute la question du pouvoir de l’écriture et de ses liens avec l’imaginaire ; ma théorie fumeuse de l’inspiration va dans le sens de ce questionnement.

L’éditeur : Pourrais-tu partager quelques références (livres, documents, personnalités, musiques, films, sites ou pages internet, etc.) en lien direct avec ce texte, afin que nos Voyageurs Littéraires puissent pousser plus avant leurs recherches et découvrir certaines facettes cachées de ton histoire ?

Gauthier Guillemin : Des lectures, pour commencer. Aurélia, de Nerval, et le sonnet fabuleux Vers Dorés (des alexandrins magnifiques et inquiétants).

Hésiode, Théogonie, VIIIième av.J.C

John-Antoine Nau, Force ennemie, 1903, premier prix Goncourt, réédité chez l'Apprentie.

Isaac Asimov, Les Robots, 1950.

Philip K. Dick, Les Clans de la lune alphane, 1964.

Philip José Farmer, Le Fleuve de l'éternité, 1971.

Côté illustration, Gustave Moreau, Hésiode et les muses, 1860. https://www.photo.rmn.fr/archive/90-003191-2C6NU0HUFO6X.html

Ainsi que deux dessins de la rue de la Vieille Lanterne :

https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Impasse_de_la_Vieille_Lanterne_Jules_de_Goncourt.jpg

https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Gustave_Dor%C3%A9_-_La_Rue_de_la_Vieille_Lanterne.jpg

Et pour finir, une page très intéressante sur les résonnances et échos d’un auteur à un autre :

http://soleildanslatete.centerblog.net/6579431-Goncourt-sur-les-lieux-du-drame-