Dans les coulisses - "La Cité sous les Cimes"

Création de la couverture

Dès que nous avons commencé à réfléchir à cette couverture, quoi que nous fassions, nos lectures du roman de Marge Nantel nous poussaient continuellement dans les mêmes directions : la Cité, les runes tournantes, le laboratoire. Cité, runes, labo. Cité, runes, labo. Ces notions tournaient dans nos esprits, alors nous avons décidé de mélanger les trois : une cité/labo sous un ciel de runes flottantes. Et puis inverser le tout, comme vu dans un reflet, pour signifier que nos héros sont passés de l'autre côté du miroir, dans une ligne temporelle différente.

Alors, première chose à faire : créer les runes. Pour y parvenir, nous optons pour de la résine que nous chargeons de pigments verts et d'une poudre phosphorescente, et que nous étalons à la poche pour garder le tracé du geste.

En parallèle, nous préparons le montage du mobile qui servira à les suspendre en recyclant de vieux morceaux de bambous et des agrafes de fer...

... ainsi que les éléments et le matériel nécessaires à la création de notre "bout de labo".

Une fois les runes sèches, nous les collons à des fils transparents.

Les runes tiennent, nous les montons sur le cadre de bambous et les suspendons dans le vide, au-dessus de la petite table carrée qui servira de support au labo des fioles et des bouteilles de verre. Une fois n'est pas coutume, nous nous installons dans un couloir pour être plongés dans l'obscurité d'un espace réduit (plus facile à enfumer qu'une grande pièce).

Nous commençons le montage du labo, en ayant pris soin au préalable de brosser du coton dans des lignes de colle, ce qui permettra d'augmenter l'effet brumeux sans trop noyer la scène dans la fumée (laquelle perturbe parfois les objectifs des appareils photos lorsqu'elle passe en volutes devant la lentille).

La scène est montée, nous cherchons le meilleur cadrage, puis ajustons la disposition des différents éléments dans le cadre arrêté pour obtenir l'effet "bout de labo" visé.

Nous passons en éclairage "lumière noire", qui sera notre exercice de style pour cette séance. En tout, il nous faudra même deux séances et multiplier les tests pour trouver les réglages parfaits tant les appareils photos conventionnels ne sont pas pensés pour ce mode de travail.

Puis vient le moment de choisir l'angle de la source lumineuse, et donc le positionnement des reflets.

Nous éteignons les lumières pour voir si la phosphorescence est suffisamment tenace afin de faire des prises de vues isolées des runes, dans le noir complet. C'est le cas.

Ne nous reste plus qu'à commencer la séance photo.

Entretien avec Marge Nantel, autrice du roman.

L’éditeur : Quelle est la genèse de ce texte ? Quel en a été le point de départ ? Quelle a été la première idée à te venir ?

L’autrice : Au départ étaient des runes, le souvenir d’un jeu vidéo aux décors magnifiques d’école de magie nichée dans un creux de verdure hors du temps, ma dernière soirée avec deux copains… et un TGV bloqué au milieu de la neige, suite à une rupture de catenaire. Quand le train est enfin reparti (4 h plus tard), Darkha et Eri avaient leurs identités ainsi qu’un problème à base de runes (sur des miroirs… on ne se refait pas), sur les bras et déjà quelques lignes de texte, qui ne savaient pas où elles allaient, sinon que ce serait assez loin.

L’éditeur : Quelles ont été tes principales sources d’inspiration ? Dans quel état d’esprit as-tu imaginé cette histoire ? Dans quel contexte ?

L’autrice : Je lisais La Chute d’Ile Rien de Martha Wells, où les héros passent beaucoup de temps à sauter d’un monde à l’autre, ce qui m’a clairement influencée.

J’avais terminé L’ombre des miroirs et commencé en parallèle une autre aventure se passant dans un lieu assez semblable à l’Université, mais implanté sur plusieurs Plans d’existence. J’avais donc beaucoup de cogitations autour des différents Plans d’existence dans mon propre univers, sur le grand passé de ma civilisation actuelle, ses créateurs, ses constructeurs… son archéologie. Et puis cette Université que j’avais posée là en contradiction avec toutes les techniques de construction et de magie racontées jusqu’à présent. Je suis donc partie à la recherche des origines, ce qui nécessitait moins des héros que des chercheurs, au final.

L’éditeur : En quoi a consisté ton travail de recherche ou de documentation ? Sur quel(s) sujet(s) / thème(s) as-tu travaillé en particulier ?

L’autrice : Moins que de la recherche, la cité a surtout déclenché un grosse réflexion globale sur les différents systèmes de magie de mon univers et les différentes pratiques. C’est un sujet que je continue d’exploiter sur des textes en gestation. Je me suis beaucoup amusée à créer des règles magico-techniques, des protocoles, des cahiers des charges pour faire fonctionner les différents engins… les différences de règles entre les Dragons et les Humains.

Dans les autres thèmes, j’ai regardé aussi du côté des grands conflits, qu’ils soient religieux, ethnique etc., voir comment on avait justifié, au cours de l’histoire, l’annihilation d’un peuple. Car, au fond, même s’il est question de magie à réparer, c’est sur un fond de génocide.

L’éditeur : Combien de temps t’a-t-il fallu pour écrire ce texte ? As-tu suivi une méthode spécifique ? Avais-tu un plan précis en tête, ou suivais-tu ton imagination à mesure que l’histoire avançait ?

L’autrice : Ce texte a connu deux phases d’écriture, avec une pause conséquente au milieu. Comme je découvrais cette partie de mon monde et mes personnages en « temps réel », j’ai eu une longue passe de texte inutilisable, trop long, davantage un carnet de voyage qu’un roman. Je n’avais pas de plan du tout, je m’étais juste donnée des bornes sous forme de points de repères (les rêves, l’arbre, les Mysques, les savants, les failles, les Cités…), mais sans avoir la moindre idée de la façon dont tout cela était relié. J’ai donc laissé filer mon imagination jusqu’à ce que la masse d’informations me donne assez de matière pour structurer l’ensemble. Puis j’ai repris du début, en sabrant, changeant de place certaines scènes, pour dynamiser l’ensemble et donner une trame lisible.

L’éditeur : Parle-nous un peu des héros de cette histoire. Comment sont-ils nés ? Et ton regard sur eux a-t-il changé au fil de l’écriture, au-delà de ce que tu avais prévu ?

L’autrice : Une des particularités des personnages de cette histoire, c’est qu’ils sont tous nés pour cette histoire. D’ordinaire, je réinjecte des rôles secondaires d’autres écrits, que j’ai envie de peaufiner, et je n’ai qu’une ou deux créations originales, qui viennent s’ajouter au petit peuple de mon univers. Alors certes, ici, presque tout le monde a des liens et des références à d’autres écrits, et en particulier à Dans l’ombre des miroirs, mais absolument aucun n’existait avant que je me lance dans ce récit. Leur autre particularité, comparé à d’autres personnages, c’est que leur destin (même l’avenir qu’il leur reste après le mot « fin »), n’est pas amené à être raconté. On ne recroisera aucun d’entre eux ailleurs.

Darkha et Eri sont les seuls de mes personnages dont l’origine est totalement traçable dans la réalité. Au fil de la musique dans mes oreilles et de mes pensées de fil en aiguille, en attendant que le train reparte, les voix de mes amis, que j’avais vus la veille, ont pris d’autres tonalités, leurs échanges sarcastico-affectueux de mecs qui se connaissent depuis toujours ont dérivé vers deux nouvelles figures. Il y a eu ce grand mage à lunettes, as des maths magiques, et son pote ingénieur, beaucoup plus branché sur les architectures fantastiques.

Comme je ne construis pas vraiment mes personnages avant d’écrire, je ne peux pas dire que mon regard a changé sur eux, j’ai juste appris à les connaître. Je ne savais pas au départ que Darkha était sans doute plus cruel et indifférent que je ne l’avais pensé. Et Eri s’est avéré beaucoup plus grande gueule que je ne le croyais.

Enfin, je me suis aperçue que, contrairement à ce que j’avais pensé, malgré leur ascendance respective, je n’en ferai pas des combattants (même juste un peu). Que s’ils sauvaient finalement le monde, ce serait grâce à leur cerveau, pas grâce à leurs muscles… c’était assez nouveau pour moi !

Morlen est un OVNI, né par hasard, au fil de l’écriture pour créer une scène comique, puis j’ai réalisé qu’il était trop unique pour ne pas avoir un rôle précis. C’est un personnage qui m’a beaucoup émue et attendrie à mesure que j’écrivais. J’ai littéralement arrangé et réécrit des scènes pour ne pas lui faire trop de peine.

Ezaïa est plus simple, même si essentiel. C’est ma caution « Indiana Jones ». J’avais besoin d’un personnage à la fois fort et intelligent, qui puisse servir de référence entre les époques et endosser le rôle de guerrier que mes personnages principaux avaient eu le front de décliner.

L’éditeur : As-tu eu des surprises lors de la rédaction de ce texte ? Des idées qui ont surgi lors de la phase d’exécution, et auxquelles tu ne t’attendais pas du tout lorsque tu en as commencé l’écriture ?

L’autrice : la malédiction et le plaisir absolu de ce texte, c’est justement le nombre de surprises qu’il m’a réservé. C’est toujours agaçant de comprendre les tenants et aboutissants en même temps que ses personnages (c’est censé être moi le chef !!), mais c’est aussi totalement grisant. Je suis toujours épatée de ce le subconscient met en place à mon insu. Quand je comprends enfin où je voulais en venir, je me rends souvent compte que j’ai semé des petits cailloux en amont, que la conclusion est logique. Du coup, sur plusieurs révélations, on m’a dit : « ça c’était évident »… pas pour moi, Muse n’étant pas encore assez blasée au moment de l’écriture pour me donner un coup sur la tête et me montrer l’info du doigt.

L’éditeur : Quel message cherchais-tu à faire passer à travers cette histoire ? Quel est le propos sous-jacent de ton œuvre ?

L’autrice : Il y a plusieurs sujets assez sombres plus ou moins en filigrane de ce texte, outre mon habituel fil rouge, autour de l’inutilité de chercher à réparer à l’identique ce qu’on a cassé. Il y est aussi question du rapport à l’autre, la façon dont on justifie des atrocités sur une différence d’apparence, de sang, ici d’espèce. Et aussi de la culture de l’instant, de la non réflexion, la façon dont, au moindre problème, on s’emploie activement à traiter le symptôme au lieu de s’accorder le temps de chercher la cause.

L’éditeur : Pourrais-tu partager quelques références (livres, documents, personnalités, musiques, films, sites ou pages internet, etc.) en lien direct avec ce texte, afin que nos Voyageurs Littéraires puissent pousser plus avant leurs recherches et découvrir certaines facettes cachées de ton histoire ?

L’autrice : Mmm… là c’est un peu compliqué, puisque les références principales sont dans d’autres de mes histoires. À moins de s’abonner à mon mur Pinterest pour voir à quoi ressemblait Darkha bébé (et, sans surprise, ce n’était que ce qui se fait de plus charismatique ni imposant dans la classe Dragon), la Cité n’a pas énormément de documentation « réelle ».